Samedi 24 février, au Parc des expositions de Paris, le Président ouvre le traditionnel Salon de l’agriculture. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que rien ne s’est passé comme prévu.
À 16 heures, l’espace est bondé, et les tensions se font sentir dès l’entrée. Une agente de sécurité, chargée de fouiller les visiteurs à l’entrée, prévient tout le monde : « Surtout n’allez pas dans le Hall 4, monsieur Macron y est. Interdiction d’approcher ! Même pour nous… » abonde-t-elle, amère.
En l’espace d’une matinée, cette professionnelle a tout vu : les manifestants en colère qui forcent la grille du Parc des expositions, les CRS qui répliquent à coups de gaz lacrymogènes pour contenir la foule, et les bêtes affolées par ce charivari. « Vraiment, c’est n’importe quoi », insiste-t-elle en fouillant le visiteur suivant. L’ouverture a été retardée d’une heure, et au final, c’est sous les sifflets qu’Emmanuel Macron inaugure le salon.
Des manifestants arrivent la veille pour être sûrs de voir le Président
Mais il en faut plus pour décourager tous les visiteurs venus voir ce que le terroir peut offrir. En se laissant diriger par le tapis roulant qui amène au centre du salon, des Parisiens s’étonnent des sons de cloche, de beuglements de vaches et de caquètements de poules : « Vous pensez que ce sont des vrais ? » Raté, ils sont diffusés par les hauts-parleurs diffusés de part et d’autre du tapis roulant.
Ces bruits de ferme sont bientôt recouverts par un autre type de sonorité. Des slogans scandés avec une empreinte de colère se font bientôt de plus en plus clairs.
« On est chez nous ! » Devant le Hall 4, peu de personnes ont suivi le conseil de l’agence de sécurité : une centaine de personnes tentent d’entrer pour alpaguer le locataire de l’Elysée. Il faut dire que certains ont campé toute la nuit devant le centre, pour être certains de ne pas rater la venue d’Emmanuel Macron.
Parmi eux, des agriculteurs venant de la FNSEA reconnaissable à leur casquette, des Jeunes Agriculteurs (JA) portant leur gilet, et le syndicat de Coordination Rurale (CR), portant leur emblématique bonnet jaune.
La CR 47, l’ovni du syndicalisme agricole
Un badaud, passablement aviné, interrompt un syndicaliste de la Coordination Rurale 47. « Qu’est-ce que ça veut dire CR 47? » Le syndicaliste le regarde de haut en bas, avant d’asséner sèchement : « T’es pas curieux toi. » En effet, depuis plusieurs années, la CR 47 fait parler d’elle, notamment pour ses actions choc.
L’histoire d’un mouvement de contestation agricole
Créée en 1995, la CR 47 (pour le département Lot-et-Garonne) détrône la FDSEA à la chambre d’agriculture en 2001. Depuis, même si la FNSEA est majoritaire dans la quasi-totalité des départements français, elle se tient sur ses gardes dans le 47. Car en matière de syndicalisme agricole, le Lot-et-Garonne est un véritable ovni.
Au tout début, la Coordination n’est pas un syndicat. C’est un mouvement agricole de contestation de la politique agricole commune (la PAC). Il émerge spontanément en 1991. Un an plus tard, le mouvement se fait connaître en tentant un blocus de Paris. Bien que ce blocage ne tienne même pas 24 heures, cette action suffit à attirer l’attention médiatique sur le syndicat alors embryonnaire. En 1995, des dissensions apparaissent et la branche la plus à droite fonde la CR 47.
Elle se démarque rapidement du syndicat national par sa violence et des actions dans la lignée du poujadisme, ce mouvement syndical d’extrême droite né lui aussi dans le Lot-et-Garonne en 1953.
Depuis, la CR 47 s’est imposée avec ses actions coup-de-poing. Par exemple, en 2001, elle décrète l’occupation de la préfecture d’Agen pour exiger de pouvoir embaucher des travailleurs immigrés. « On veut des Polonais et des Marocains ! », scandent à l’époque ses militants. Interrogé des années plus tard par le Monde diplomatique, Serge Bousquet-Cassagne, élu à la tête du syndicat, précise : « On demandait des gens fiables. En clair, des gens qui ont faim, qui ont envie de travailler. »
23 ans plus tard, Serge Bousquet-Cassagne emmène son syndicat à la capitale. Car après les dernières annonces du Premier ministre Gabriel Attal, le leader historique de la CR 47 prévient que le Salon de l’agriculture « va mal se passer ».
Un syndicat soupçonné d’être lié au Rassemblement national
Une promesse bien tenue au vu des dégâts commis dès l’ouverture. Et le Président de la république n’est « dupe de rien ». Dans un entretien au Figaro publié au lendemain du salon, Emmanuel Macron a pointé du doigt la responsabilité dans ses débordements de la Coordination rurale (CR), le seul syndicat agricole qui « a fait le choix de ne pas appeler au calme ».
« On va être franc entre nous. Vous avez des gens qui sont venus juste pour que je ne rentre pas [dans le Salon], c’est raté. Vous avez des gens qui sont là avec un projet politique c’est de servir le Rassemblement national, de faire demain ou après-demain une haie d’honneur pour les dirigeants du Front national et, bien sûr, de mener une campagne politique (…) L’agriculture française mérite mieux que de la mauvaise politique et elle mérite mieux que leur projet de décroissance et de bêtise qui consiste à expliquer aux gens que la solution, ce serait de sortir de l’Europe (…) Le Rassemblement National, c’est le parti du Frexit, de la sortie de l’euro. Mais s’il n’y a pas d’Europe, il n’y a pas d’agriculture. » – Emmanuel Macron, au micro de BFMTV
Le troisième syndicat du secteur agricole français a-t-il des liens avec le parti de Marine Le Pen, comme l’affirme l’exécutif ? Au micro d’ Europe 1, la présidente du syndicat, Véronique Le Floc’h, récuse cette déclaration : « Non, franchement ça m’agace, ça agace de nombreux agriculteurs, de nombreux adhérents qui justement ne s’y reconnaissent pas. » Pourtant, fin janvier à Mediapart, la syndicaliste avait déclaré que « si tout le monde avait le même discours que [le RN], on pourrait aller dans le bon sens ».
Quoi qu’il en soit, c’est sur une action politique que s’est ouvert le Salon de l’agriculture 2024. Reste à voir si les agriculteurs sur place ont réussi à passer à travers les mailles de ces dissensions politiques afin de faire un bon chiffre d’affaires.