À la Cité de l’architecture et du patrimoine, les badauds se pressent pour voir l’exposition sur le métropolitain parisien. Intitulée « Métro ! Le Grand Paris en mouvement », c’est une véritable entrée dans l’histoire du métro, de la mobilité et de l’urbanité qui est proposée aux visiteurs. « On l’emprunte tous les jours, sans vraiment savoir tout ce que ça implique », opine Stéphane, 56 ans, venu découvrir l’exposition en famille.
Le Grand Paris Express, ou la promesse de 4 nouvelles lignes avant 2030
Une bonne occasion pour les parisiens de redécouvrir l’envers du décor de leur métro. D’autant plus que ce dernier va bientôt changer. En effet, dès 2024, ils pourront circuler encore un peu plus en Île-de-France. Et cela, grâce à l’ouverture des premières gares du Grand Paris Express. L’objectif pour 2030 est de dévoiler 4 nouvelles lignes automatiques de métro. Les lignes 15, 16,17 et 18. Sans compter le prolongement d’une célèbre ligne déjà existante (la ligne 14). En tout, 68 nouvelles gares ouvreront.
Si tout se passe comme prévu, la ligne 14 sera prolongée vers le nord et le sud. Et ce, juste avant le début des Jeux Olympiques de Paris de 2024. Elle reliera l’aéroport d’Orly à Saint-Dénis Pleyel en 40 minutes. Pierre-Emmanuel Becherand, responsable Architecture, Culture, Design et Création à la Société du Grand Paris, indique que « le Grand Paris Express, ce sera trois millions de voyageurs par jour. Cela signifie qu’en une semaine, nous aurons la fréquentation annuelle du Louvre ».
En attendant, la Cité de l’architecture et du patrimoine, en association avec la Société du Grand Paris, a décidé de consacrer une exposition inédite au fameux métro. Du 8 novembre en 2 juin 2024, cette installation plonge les visiteurs au coeur de l’histoire du métropolitain, avec de nombreuses anecdotes qui donnent une perspective différente aux trajets du quotidien.
Les mystères de la construction du métropolitain
D’abord, saviez-vous que le métro parisien avait une devise ? « Jovis erepto fulmine per inferna vehitur prometei genus », ou en d’autres termes si vous ne maîtrisez pas le latin : « Grâce à la foudre ravie à Jupiter, la race issue de Prométhée est transportée dans les antres souterrains ». C’est Fulgence Bienvenüe, ingénieur en chef du métro parisien, qui a trouvé ce slogan adapté. Quelle allégorie plus adéquate que l’histoire du Titan Prométhée, connu pour avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe pour en faire don aux humains, et qui leur enseigne la métallurgie ?
Une compétence primordiale pour les bâtisseurs du métro parisien. Même si en réalité, sa construction n’a rien à voir avec un Titan en guerre contre Zeus.
Établi essentiellement en souterrain, et le plus souvent au plus près de la surface, le réseau du métro parisien est né de la fertile coopération entre ingénieurs de la Ville de Paris et entrepreneurs en travaux publics expérimentés. L’accomplissement des travaux est un véritable tour de force, impliquant au préalable une parfaite connaissance du sous-sol déjà conquis. Canalisations d’eau et de gaz, réseaux des égouts, sont au besoin dévoyés au profit du métro. Les entrailles de la ville sont percées, bouleversées à force d’homme.
Cette édification titanesque ne fut pas de tout repos. Pire, elle a coûté la vie à plusieurs ouvriers sur place. Comme l’informe cette Une du Petit Parisien, exposé dans une vitrine. On y voit une illustration morbide. Des travailleurs portent quelques-uns de leurs collègues décédés, sous terre. La titraille indique : « TRAVAUX DU METROPOLITAIN – AU CHANTIER DE LA CITE, Les Ouvriers retrouvent les Cadavres de leurs Camarades victimes d’un terrible accident ». Ça s’est passé le 23 décembre 1907. Un accident de décompression, appelé « renard » dans le jargon des travaux publics, survient sur le chantier de la station «Cité», place du marche aux fleurs, dans le 4ème arrondissement de Paris. À la suite d’une fuite d’air comprimé à l’intérieur du caisson où ils travaillent, cinq des quatre-vingts ouvriers tubistes alors présents trouvent la mort. Selon les mots du Petit Parisien, ils furent « projetés à terre, rassemblés en paquet compact, [..] emportés, avec une force énorme, sous la paroi inférieure du caisson ».
De nombreuses oeuvres font référence à ce dur labeur. Comme le tableau de Gaston Brun, où l’on voit deux mineurs forer le sous-sol de la capitale à coups de pioche. Ou encore le dessin de Frantisek Kupka, qui dépeint à la perfection la pénibilité des conditions de travail des ouvriers tubistes. Ils sont à l’intérieur de la salle de travail de l’un des caissons métalliques en cours de fonçage sous la Seine. Les ouvriers travaillent sous air comprimé, dans un bruit assourdissant. En creusant le sol à coups de pic et de pioche, le caisson s’enfonce peu à peu sous son propre poids jusqu’à atteindre la profondeur voulue. À gauche, au premier plan, les «glaiseurs » s’appliquent. Ils colmatent avec de l’argile les fissures du terrain afin de contenir d’éventuelles voies d’eau.
La construction du métro parisien, un projet titanesque et compliqué
Il fut compliqué d’installer certaines lignes, utilisées par des millions de voyageurs chaque jour. Comme la ligne 12, entre les stations « Notre-Dame-de-Lorette » et « Jules Joffrin ». Elle a été particulièrement difficile à construire à cause de la présence d’anciennes carrières de gypse. La nature du terrain et le profil de la butte conduisent à la réalisation de certaines stations, comme « Abbesses », à des profondeurs considérables. Les voies de la ligne passent à près de 31 mètres sous la place des Abbesses, deux gigantesques puits sont aménagés. Dans l’un se logent les ascenseurs. Dans l’autre, un interminable escalier à double volée de forme hélicoïdale.
La station « Danube » est aussi impliquée. Et elle est source de nombreux fantasmes. Certains l’imaginent juchée sur d’interminables piliers, stagnant dans le vide et l’obscurité d’une gigantesque carrière, tout droit sortie de l’univers de Jules Verne… Il n’en est rien. Les carrières de gypse sous la place du Danube et ses alentours dans le 19ème arrondissement ont été remblayées. Dans le sillage du décret portant interdiction d’exploiter des carrières souterraines dans Paris 1813, il s’agissait de prévenir tout effondrement engendré par la dissolution du gypse. Pour construire la station et une partie de l’ancienne ligne 7 (actuelle 7 bis), ouverte en 1911, plus de deux cents puits de fondations sont forés jusqu’au sol stable, à plus de 30 mètres de profondeur. Leur alignement mathématique dessine un majestueux viaduc souterrain.
Enfin, la station « Opéra » n’est pas en reste. Avec la présence de sables imbibés d’eau sous la place de l’Opéra dans le 8ème arrondissement de Paris, la construction implique de concevoir un « ouvrage spécial ». Entre mars 1903 et février 1904, l’entrepreneur en travaux publics Léon Chagnaud s’en occupe. En raison de la nature du sol, les travaux sont conduits au moyen de l’air comprimé. Chaque ligne est supportée par un plancher métallique. La ligne 8, la plus profonde, se situe à 16,20 mètres sous le niveau de la rue ; les lignes 7 et 3 se trouvent respectivement à 11 et 6,50 mètres. Un dernier plancher métallique accueille la chaussée et, avec elle, les pulsations incessantes du trafic routier.
Le métro parisien est-il un signe de modernité ?
Le métro s’affirme par son caractère fonctionnel comme un symbole de modernité. Celle-ci se manifeste à travers d’autres aspects. Comme le style des accès aux formes insolites dessinés par l’architecte Hector Guimard, maître de l’Art nouveau. L’aménagement intérieur des stations reflète les préoccupations hygiénistes de l’époque, avec l’emploi de carrelage blanc, lumineux et aisément nettoyable. La lumière des ampoules électriques facilite l’appréhension de l’espace du sous-sol. Elle accompagne le voyageur à l’intérieur des voitures, éclaire les tunnels qu’il traverse en dessinant un long fil d’Ariane. La modernité s’exprime aussi dans l’organisation du travail du personnel, équipé très tôt d’appareils dernier cri pour l’édition des tickets ou la régulation des flux de passagers. Doté d’un matériel roulant à la pointe du progrès, le métro est un espace résolument moderne. L’édition de cartes-réclame, de cartes postales et de jeux de société participe et témoigne de son appropriation réussie par la population.
Une chose est sûre, c’est qu’autour de la capitale, le paysage métropolitain a beaucoup évolué. Et ce depuis 1965, date du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne. Les villes nouvelles sont apparues dans un rayon d’une trentaine de kilomètres. Selon une autre stratégie, le réseau du Grand Paris Express développe sa double boucle dans les territoires situés entre la ville d’Haussmann et ces villes nouvelles. L’« archipel du Grand Paris » présentée dans l’exposition est un panorama de 16 gares. Par leur typologie, elles donnent la mesure de la diversité des situations urbaines dans la métropole.
En matière de typologie, les gares sont classées selon cinq catégories :
- les gares « piranésiennes », les plus profondes; les gares-paysages, qui intègrent l’idée de ville-nature;
- les gares-passages, qui développent l’idée essentielle d’espace public;
- les gares-ponts et les gares aériennes, qui font exception au regard d’un réseau essentiellement souterrain;
- les gares qui renforcent des «hubs» de mobilité. Ce n’est pas la première fois que l’on fait descendre l’art dans le métro. En effet, Moscou a ouvert la voie dans les années 1930. Néanmoins, chaque gare du Grand Paris Express a fait l’objet d’une double commande architecturale et artistique. Est-ce que cela suffira à satisfaire les usagers du métro lors des JO 2024 ? L’avenir proche nous le dira.