Le juriste est un acteur qui peut s’avérer essentiel pour les entrepreneurs. Mais qui est-il exactement ? Un juriste travaille en équipe, au sein d’une entreprise. Fin connaisseur du droit fiscal, social et commercial, il prend part aux prises de décisions en expliquant les risques encourus et en préparant des contrats. La Gazette de l’Entrepreneur s’est entretenu avec Hélène Pardonche, juriste en droit social, pour en savoir plus sur ce métier passionnant.
Peux-tu te présenter ?
Je suis Hélène Pardonche, juriste en droit social dans un cabinet d’expert comptable. J’ai 30 ans, je vis à Paris et je suis passionnée par la peinture, l’écriture… J’aime aussi beaucoup la culture japonaise et coréenne.
Quel a été ton parcours professionnel ?
J’ai fait un master en droit social, puis j’ai travaillé en cabinet d’avocat. Dans un premier temps, j’étais assignée à la défense des salariés. Puis, je suis tombée dans un cabinet d’expert comptable. Ce n’est pas forcément le parcours classique, car un juriste va souvent en cabinet d’avocat, ou en entreprise… Là, les cabinets d’experts-comptable grossissent pas mal et sont assez importants. Ils développent donc leur secteur juridique et droit social pour accompagner les clients. Je suis tombée dans ce secteur d’activités, et aujourd’hui je suis dans le conseil des clients pour tout ce qui concerne le relationnel avec les salariés.
Et le conseil m’a vraiment plu. Avoir des personnes qui viennent nous voir avec leurs difficultés, et cibler ce qui ne va pas, le transformer juridiquement (c’est-à-dire traduire une situation lambda en termes administratifs)… Trouver une problématique et des solutions, puis constituer un dossier pour faire entendre ça à un juge. De plus, j’avais la chance d’être dans un cabinet avec un grand syndicat, donc on avait cette dimension très politique et collective, dans des thèmes très importants. Et ça, c’était très intéressant.
Quelles sont les missions du juriste ?
Les missions sont très larges ! Un juriste fait les mêmes missions qu’un avocat. La seule différence est que le juriste ne peut pas plaider devant le juge. Plus précisément, on va être habilité à rédiger beaucoup d’actes pour les clients.
Donc la première partie, c’est du conseil : c’est-à-dire qu’on a souvent des clients qui viennent nous voir avec des difficultés concernant leurs salariés. Ce qu’on appelle les problèmes disciplinaires. Notre rôle est alors de les conseiller sur ce qu’ils peuvent faire ou non, et sur les procédures légales à respecter s’ils veulent lancer une sanction disciplinaire.
Je vais également rédiger tous les actes : du contrat de travail à un licenciement pour motif économique, par exemple. Je peux aussi mettre en place des CSE (Comité Social et Économique), ou bien rédiger des règlements intérieur, des accords… Chaque personne va venir avec une situation, une problématique, et je vais rédiger quelque chose de propre à son besoin.
Y’a-t-il une affaire qui t’as marquée, à l’issue de laquelle tu t’es sentie utile ?
En général, ce sont pour les procédures de licenciement économique, c’est toujours très intéressant de sortir le bilan. J’ai la chance d’être dans un cabinet d’expert-comptable, donc j’ai le bilan économique des sociétés assez facilement. Je peux alors essayer de faire en sorte que le licenciement soit le dernier recours. C’est très stimulant.
Le dossier dont je suis la plus fière en ce moment, c’est un gros client anglais qui s’est implanté en France, il a fallu lui expliquer comment ça se passe en France. C’est-à-dire qu’il est arrivé avec une cinquantaine de salariés, en ne connaissant rien du tout du droit français, il a fallu les accompagner dans toutes les problématiques, les obligations, leur expliquer l’importance de chaque précision que la France exige. Et le système français diffère beaucoup du système anglais. Donc tout ça était très challengeant, d’expliquer pourquoi il faut faire ceci, et pourquoi cela est essentiel… Quand on sait que le client a compris, qu’il met en place et qu’il nous fait confiance, là on est plutôt satisfait.
Selon toi, quelles qualités sont requises pour devenir juriste ?
Je dirais que la première qualité à avoir, c’est la curiosité. Un juriste, c’est quelqu’un qui cherche, on n’a jamais la réponse parfaite tout de suite. On est sur une matière mouvante, qui bouge tout le temps, donc il faut savoir s’adapter. Un juriste est aussi une personne qui doit savoir faire preuve d’empathie, il doit pouvoir se mettre à la place du client, comprendre ses difficultés. Il faut savoir jongler, à la fois coté salariés et coté employeurs, pour comprendre l’entièreté des difficultés. C’est quelqu’un qui doit avoir une belle plume. Un juriste doit être rigoureux, être précis. Et un juriste en cabinet, il doit aimer le contact. Car contrairement au juriste en entreprise, le juriste en cabinet est au contact permanent des clients.
Est-il obligatoire pour un entrepreneur d’engager un juriste ?
Non. Un entrepreneur , quand il envisage de créer sa société, privilégie le contact d’un expert comptable. C’est lui qui sera habilité pour l’accompagner à la création, statut juridique, et ensuite il s’occupe de la déclaration. L’expert comptable a un diplôme supérieur à un avocat, et normalement son expertise suffit.
Néanmoins, la matière sociale est une matière très compliquée. Dès l’instant où l’entrepreneur va grossir son activité, il va avoir besoin d’embaucher des salariés. C’est là que l’expert comptable arrive à la limite de son expertise, puisqu’il va falloir plein de modalités d’embauche à prévoir. Comme par exemple, un contrat de travail à faire, ou bien des obligations en matière d’embauche que l’expert comptable n’a pas forcément en tête. C’est pour cela que les experts-comptables, quand ils sont dans de gros cabinets, se permettent d’embaucher des juristes en droit des sociétés, des juristes en droit fiscal ou des juristes en droit social. Ça lui permet d’avoir de vrais experts à disposition pour accompagner les clients de manière précise. On est sûrs de la réponse dans ces métiers.
Je dirais donc à un entrepreneur qui souhaite embaucher : allez dans un cabinet d’expert-comptable, qui est suffisamment gros pour avoir des gestionnaires de paix, pour avoir des juristes en droit social et en droit des affaires et des entreprises. Comme ça, vous aurez des réponses précises à des problématiques précises.
Mais à l’entrepreneur qui pense qu’il va se suffire à lui-même dans un premier temps : un simple expert-comptable sera suffisant pour toutes les grosses questions auxquelles vous serez confronté.
Est-ce que ta profession subit des changements particuliers en ce moment ?
On subit les mêmes changements que tous les corps de métier, avec l’avancée de l’informatique, et de l’Intelligence Artificielle… Surtout que le droit est une matière extrêmement mouvante, surtout le droit social qui évolue tout le temps.
Dernièrement on a eu le cas d’une décision de l’UE qui a sanctionné la France (une fois de plus) pour la non-application d’une règle européenne, que la France refuse d’appliquer depuis. Elle n’a pas changé sa législation et donc elle a fait l’autruche pendant plus d’une décennie.
C’est une règle qui concerne les congés payés. Un salarié qui est en arrêt maladie, si c’est un accident du travail, ou une maladie professionnelle, il continue de cumuler ses congés payés. Quand ce n’est pas une maladie professionnelle ou un accident de travail, dès qu’il est arrêté, comme il ne fait pas de travail effectif, il ne cotise pas de congés payés. La position de l’Europe estime qu’un salarié qui est malade, et qui fait toujours partie des effectifs, a droit à ses congés payés. Elle a condamné la France en indiquant que maintenant, un salarié qui était arrêté, devait bénéficier de ses congés payés. Il peut cotiser et les prendre à son retour.
Cela a été un raz-de-marée pour la France. Car il y a aussi la question de rétroactivité. Sur combien de temps peut demander un salarié, qui aurait été arrêté, de récupérer tous ses congés payés ? Cela peut être catastrophique pour les petites structures qui n’ont pas beaucoup de trésorerie, de se dire qu’il y a une dette vis-à-vis des salariés qui sont arrêtés depuis deux ou trois, et se dire qu’il faudra payer deux ou trois ans de congés payés. Donc, c’est très problématique et le juge français ne s’est pas positionné. Il a refusé de s’impliquer. On va devoir attendre que le pouvoir exécutif fasse des propositions de loi, les applique, et ça va être très compliqué.
Donc ce côté mouvement implique une nécessité de s’informer sans cesse. Car une règle qu’on pensait classique et acquise peut changer à tout moment. Et le souci qu’on a avec nos clients, c’est qu’ils s’informent sur internet .Mais ils ne lisent pas les informations comme nous, experts, on les lit. On doit leur expliquer que ce n’est pas aussi simple que ce qu’on peut lire sur internet, on fait beaucoup de pédagogie. C’est aussi ça notre rôle : déchiffrer l’information qu’ils ont récupéré pour dire ce qui est applicable et pertinent, et ce qui ne l’est pas.
Que penses-tu de ton métier ?
Moi j’adore mon métier ! Je me suis spécialisée en droit social. En études, on fait d’abord de l’histoire, on touche à toutes les matières. Alors, avant de choisir ma spécialité, j’ai voulu tout faire : juge aux affaires familiales, fiscaliste… Chaque matière me passionnait.
Ce qui m’a davantage plu dans le droit social, c’est l’impact pour les gens. C’est un droit assez récent qui a pour but de les protéger, les accompagner… Il y a aussi une dimension politique. Tout ça me stimule et m’intéresse au plus haut point.
As-tu un conseil à partager ?
J’ai un conseil pour les entrepreneurs. Si vous souhaitez créer une entreprise, et que vous envisagez de prendre des salariés, visez un expert comptable. Ou bien un cabinet qui dispose de juristes en droit social, car c’est une matière plus complexe qu’on ne le pense. Elle a beaucoup d’obligations et la meilleure personne pour vous conseiller parfaitement sur toutes les obligations qui vous incombent, ce sera un juriste en droit social.