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Infogreffe : le Guichet Unique n’est pas à la hauteur

C’est un faux départ pour le nouveau guichet unique du gouvernement. Entre bugs et délais à rallonge, l’exaspération des professionnels se fait sentir. Leur jugement est sans appel : le guichet unique est loin d’être à la hauteur d’Infogreffe. Acculé, Bercy cède, et Infogreffe rouvre pour certaines formalités, jusqu’au 30 juin prochain. 

À quand la réouverture totale d’Infogreffe ? C’est la question que tous les professionnels se posent. Ou plutôt, ceux qui ont l’habitude d’utiliser ce portail.

Pour les autres, une définition s’impose. Infogreffe (qui est un GIE, un Groupement d’Intérêt Économique) est une plateforme en ligne, gérée par le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce. Elle permet aux entreprises de consulter les informations légales et financières d’autres entreprises, mais aussi de réaliser de nombreuses formalités, comme par exemple les transferts de sièges. Enfin, ça, c’était avant.  

 

Passer du privé au public

L’article premier de la loi Pacte a changé la donne. Ce dernier prévoit qu’à compter du 1er janvier 2023, « toutes les formalités des entreprises devront exclusivement être effectuées en ligne sur le site de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle). » Le gouvernement décide ainsi de remplacer les  CFE (Centres de Formalités d’Entreprises) par un organisme unique numérique. Le but était d’effectuer toutes les formalités des entreprises (immatriculation, modification, dépôt des comptes…) en ligne, dans un souci de simplification des traitements des dossiers, mais pas seulement.

Comme Infogreffe est une société privée, par le biais de cette loi, l’Etat voulait reprendre le monopole sur les formalités des entreprises. Une désactivation des sites préexistants de déclaration plus tard, et un mic-mac administratif commence. 

Le fameux site de l’INPI se nomme formalités.entreprises.gouv.fr. C’est via ce site que les professionnels doivent désormais se diriger pour remplir leurs formalités, qui devient ainsi le « guichet unique ». Le bémol, c’est que ce site a multiplié les anomalies, et mis ses utilisateurs dans l’embarras. 

 

Manque de préparation

C’est le cas de Rouby Jackson, responsable du pôle formalités chez FLG avocats. Pour elle, la décision du gouvernement n’est pas à blâmer. C’est plutôt le fonctionnement qui est mis en cause : « Leur plateforme nous désorganise. Ils l’ont mise en place trop tôt, et manquaient de préparation. Ils n’ont pas voulu admettre leur erreur, car une fois leur décision prise, ils ont voulu aller jusqu’au bout ». Au détriment des entreprises. Car cette professionnelle affirme que pour les mêmes démarches qui lui prenaient 48 heures de traitement sur Infogreffe, sur le guichet unique, elles pouvaient aller jusqu’à 3 semaines

Entre la lenteur du site, le SIRET des entreprises non reconnues et l’impossibilité d’obtenir un extrait de Kbis, cette nouvelle plateforme a été jugée non seulement inadaptée aux besoins des professionnels, mais également dangereuse pour le bon fonctionnement économique du pays. Et il a suffit de quelques jours pour qu’un constat s’élève, unanime : ce guichet unique est un échec cuisant

 

Sur Twitter, un florilège de plaintes émane des utilisateurs du Guichet Unique.

 

Les professionnels sont nombreux à déplorer la situation, et sur Twitter les supplications s’enchaînent : « Remettez pleinement en marche le système Infogreffe s’il vous plaît ! Vous vous étiez engagés à ce que le guichet unique soit opérationnel fin mars, il ne l’est pas et c’est véritablement problématique pour les entreprises et leurs dirigeants. » Face aux multiplications d’incohérences, Infogreffe est rappelé à la rescousse

2 mois pour régler les anomalies

Un arrêté du 17 février 2023 permet alors d’utiliser à nouveau Infogreffe pour toutes les formalités de modification et de radiation des entreprises inscrites au RCS. Et ce, du 20 février au 30 juin 2023. Un bonheur pour Rouby Jackson : « Début mars, ça allait un peu mieux dans le traitement des dossiers. Tout ce que je peux faire sur Infogreffe, je le fais sur Infogreffe, car c’est plus rapide. En 5 clics, je peux finaliser une augmentation ou réduction de capital, par exemple. Alors que sur le guichet unique, ça prend au moins une heure ». 

Aujourd’hui, les formalités d’immatriculation, de cessation d’activité, et de dépôt des comptes annuels s’effectuent sur le guichet unique. Cependant des problèmes persistent : soucis de signatures électroniques sur les formalités de cessation d’activité, dépôt des comptes annuels qui comptabilise 99% de rejets… Seul point positif : les immatriculations commencent à être mieux gérées par le site de l’INPI, selon certains utilisateurs. Mais il ne lui reste plus que deux mois pour régler ses nombreux bugs. 

 

Un guichet non dématérialisé

Pessimiste, Rouby Jackson émet des réserves : « Ils affirment que le guichet unique sera opérationnel le 1er juillet, mais il ne le sera pas, prédit-elle. Ils ont sous-estimé la masse d’informations à gérer. Infogreffe est là depuis tellement d’années, que ça roulait tout seul ! »

Tout seul, pas vraiment. Un témoignage d’un ancien greffe explique que l’organisation y est colossale : « Chaque jour, des centaines de dossiers papiers arrivent. Il faut les enregistrer, les trier (les immatriculer et les modifier), de quoi remplir des pièces entières ».  En parallèle du rangement, il faut aussi regarder et gérer les arrivées sur Infogreffe et prioriser les urgences. Si aujourd’hui, tout est dématérialisé, le guichet unique est resté sur le format papier, problèmes techniques oblige. Au grand dam des professionnels. 

Jean-François Doucède, vice-président d’Infogreffe, a posté un message où il prend clairement position pour le retour hégémonique de sa plateforme : « Le service infogreffe dépôt des comptes pourrait rouvrir en quelques instants pour faciliter la vie de l’écosystème entrepreneurial français. » Mais du côté de Bercy, il n’est pas question de revenir en arrière.

 

Héloïse Pieragnoli

Diplômée de l’école de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM), Héloïse Pieragnoli a intégré par la suite la Google News Initiative, où elle a pu renforcer son écriture web. Aujourd’hui rédactrice pour La Gazette de l’Entrepreneur, elle est également bénévole au sein de La Chance, pour la diversité dans les médias. Une structure qui l’avait soutenu dans le passé, afin d’accomplir son projet professionnel.