Le tribunal correctionnel de Paris a condamné, mardi 19 mars, les 28 personnes jugées entre novembre et janvier pour le cyber-harcèlement en meute de la papesse des influenceurs, Magali Berdah. C’est la première fois, en France, qu’une affaire de cyber-harcèlement prenne une telle ampleur, avec des peines allant de quarte à dix-huit mois de prison.
Un cyber-harcèlement qui comporte des répercussions sur la santé mentale
« Sale chienne », « arnaqueuse », « tu mérites d’être décapitée et lapidée » : les messages reçus par la fondatrice de Shauna Events sont violents. Et Magali Berdah en a lu plus de 100 000, la boule au ventre. Entre menaces de mort, appels au viol ou au suicide, et même des attaques antisémites, la plaignante confie au tribunal avoir été « à deux doigts de [se] jeter par la fenêtre ».
Mais loin d’avoir été protégés derrière leur écran d’ordinateur, cette fois-ci les « haters » s’en sont mordus les doigts. Lors de différentes audiences qui se sont déroulées du mois de novembre au mois de janvier, le tribunal a vite démontré qu’au moment des faits, chacun des 28 prévenus « a eu connaissance du cyber-harcèlement subi par la victime et a fait le choix de s’inscrire sciemment dans celui-ci ».
Dans sa décision de condamner les citoyens acteurs de ce cyber-harcèlement, les « répercussions réelles » pour la santé mentale de la victime pèse lourd.
Ses avocats insistent : « Elle a été la cible de cyberharcèlement en meute d’une rare violence avec des composantes sexistes et antisémites. Ça a touché toutes les dimensions de sa vie, sa vie privée, professionnelle, sa santé ».
En réponse, la peine la plus sévère prononcée mardi atteint douze mois de prison ferme, pour l’individu ayant tenu des propos antisémites.
Les prévenus, âgés de 20 à 49 ans et résidant dans toute la France, ont été condamnés à des amendes allant de 300 à 700 euros, et à suivre un stage de citoyenneté. Pendant deux ans, ils auront interdiction formelle d’entrer en contact avec la victime, réseaux sociaux inclus.
Et ils devront lui verser solidairement 54 000 euros au titre de son préjudice moral.
Pour les avocats de Magali Berdah, ce jugement est un exemple. Ils se confient au journal 20 Minutes : « Il n’y a jamais eu autant de condamnations pour des faits de cyberharcèlement. Nous espérons que ça enverra un message fort aux cyberharceleurs qui se sentent protégés derrière leurs écrans et aux victimes pour qu’elles ne désespèrent pas. »
La plupart des prévenus se sont défendus en reprochant à l’agence de 42 ans ses pratiques commerciales trompeuses, commises à travers sa société Shauna Events, qui met en relation influenceurs et marques. Le nom de Booba est prononcé souvent, considéré comme chef de meute dans cette affaire.
Booba est-il un lanceur d’alerte ou un chef de meute ?
En effet, depuis deux ans, le rappeur dénonce les pratiques douteuses de la fondatrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events. En 2021, Booba recense les témoignages de personnes qui disent avoir été arnaquées par ces influenceurs.
Booba enfile alors son costume de « lanceur d’alerte ». Accompagné de ses 6 millions d’abonnés sur X, il s’attaque à ceux qu’il surnomme les « influvoleurs ».
Dans son viseur, on retrouve des candidats de télé-réalité, comme Maeva Ghennam qu’il accuse de faire du drop-shipping. Lassé de toutes ces magouilles impunies, il va jusqu’à interpeller le gouvernement français. Dans une interview accordée à Libération, il se lâche : « Il faut que les autorités réagissent, moi, je ne suis pas ministre des fraudes ».
Il ajoute aussi : « Au-delà de n’avoir aucun talent, de faire la promotion de la culture du vide, de la débilité, et de ne pas payer leurs impôts en France, ils entubent des citoyens. »
Un ras-le-bol qui le conduit vers la justice. En juillet 2022, Booba porte plainte contre X et contre Shauna Events pour “pratiques commerciales trompeuses”. Mais Magali Berdah ne compte pas se laisser faire.
Elle contre-attaque et porte, elle aussi, plainte contre le rappeur. Une enquête est ouverte pour “menace de mort, harcèlement par un moyen de communication électronique et injure publique à raison de l’origine et du sexe”.
À la suite de cela, Booba est mis en examen depuis octobre 2023 pour harcèlement moral en ligne aggravé, et placé sous contrôle judiciaire. La justice le soupçonne d’avoir envoyé, entre mai 2022 et mai 2023, au moins 487 messages sur les réseaux sociaux visant « directement » Mme Berdah, d’après des éléments de l’enquête consultés par l’Agence France-Presse (AFP).
Interrogé à ce sujet par Complément d’enquête, Booba répond : « Suite à cette propagande qu’elle met en place contre moi, je vais l’attaquer aussi pour cyberharcèlement. C’est un démon cette femme. Elle a été condamnée à plusieurs reprises, elle a arnaqué des personnes âgées… Quand elle pleure c’est de la comédie. […] Après je suis taquin, je sors un peu des lignes, mais je ne fais que de la dénoncer. Je ne regrette pas du tout. Peut-être que je suis allé trop loin, mais de temps en temps il faut aller trop loin. »
Mais le rappeur de 47 ans refuse catégoriquement d’endosser la responsabilité du comportement de ses abonnés envers Magali Berdah : « En leur disant [aux internautes] d’arrêter ou de continuer, ça me rend responsable justement et ça me met en chef de meute, ce que je ne suis pas. »
Pour lui, son rôle est clair, il est là pour défendre les consommateurs et les internautes. Mais peut-on vraiment ignorer le poids de ses mots, lorsqu’on a derrière soi une si grande communauté ?
L’avènement des réseaux sociaux ravive le tribunal populaire, et engendre une chasse aux sorcières quelque peu différente mais tout aussi mortifère. Mme Berdah a été la première à en faire les frais à si grande échelle.
Et ses ennuis ne sont pas finis, puisqu’elle doit être jugée en septembre 2024 à Nice pour banqueroute et blanchiment, tandis que son agence Shauna Events fait l’objet d’une enquête préliminaire à Paris, notamment pour escroquerie.
L’histoire retiendra que l’origine de cette affaire est le signalement de Booba sur les réseaux sociaux. Néanmoins, il est certain que rien ne justifie le cyber-harcèlement, peu importe si la cible est coupable ou non.