PORTRAIT –
Comment prononcer son nom ? « On enlève le Z » indique patiemment Maître Delphine Krzisch, avocate parisienne qui vient de se lancer en tant qu’indépendante.
À trente-quatre ans, cette avocate spécialisée dans le droit public possède un parcours solide. Après trois années de classe préparatoire à Henri IV, elle enchaîne sur une carrière judiciaire et juridique à Sciences Po, avant d’atterrir en 2ème année de master à la Sorbonne, en droit public des affaires.
Elle entame son parcours professionnel grâce à différents stages : dans des cabinets d’avocats plus ou moins grands, des banques, et même au Conseil d’Etat. Elle a également fait ses preuves au Sénat, en tant que chargée du groupe parlementaire du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Enfin, elle passe le barreau avec brio, et exerce aujourd’hui la fonction d’avocate depuis sept ans.
Delphine Krzisch est impressionnante, mais ne semble pas le savoir. Ses cheveux châtains encadrent un visage à l’air posé et serein. De prime abord, elle paraît méfiante. Bien qu’elle soit ici sur son terrain, dans la salle de réunion d’un immeuble du 6ème arrondissement de Paris, l’avocate est en terra incognita. D’habitude, c’est elle qui pose les questions.
Au début, on est des scribes derrière un ordinateur ! Et d’un coup, on nous dit d’aller faire le show devant les clients… C’était pas gagné
Au fur et à mesure de l’entretien, la professionnelle du barreau se détend. Elle esquisse un premier sourire à l’évocation de sa nouvelle manière d’exercer : elle est à son compte depuis un an, chez Grapho Avocats, et est ravie de ce changement. « Avant, je pouvais travailler de 9h30 jusqu’à 21h, parfois sans pause. Comme je voulais rentrer tôt, il fallait que je me dépêche de travailler. » Les avocats collaborant en cabinet possèdent une obligation de rentabilité. Un stress supplémentaire dont Delphine a choisi de se délester.
Être indépendant, le parcours du combattant ?
Mais être indépendante n’est pas non plus l’eldorado. L’avocate le concède : il y a des résidus de pression, notamment au niveau du développement de sa structure. Il ne lui suffit plus alors de connaître parfaitement le droit et de l’appliquer au réel. Si cela reste la base de son métier, elle doit maintenant accrocher plusieurs cordes à son arc : connaître le marketing, faire du commercial, développer des partenariats… « Il faut savoir se vendre » admet la professionnelle, en croisant ses mains.
Une chose difficile pour quelqu’un qui est « plutôt introvertie à la base ». Delphine explique : « Au début, on est des scribes derrière un ordinateur ! Et d’un coup, on nous dit d’aller faire le show devant les clients… C’était pas gagné ». Alors, pour s’aider, elle suit les posts LinkedIn de Coach Avocat et fait des formations payées par le barreau. Elle reste d’une lucidité implacable : « Dans une collaboration libérale, au bout d’un moment, le cabinet qui vous emploie finira par vous trouver trop cher. Dès lors, vous avez trois mois de préavis avant d’être remercié. » Et sans client personnel, la chute est rapide.
Un lien plus sincère entre elle et ses clients
Ses clients sont une des raisons qui ont poussé Delphine à franchir le cap de l’indépendance. Elle assure qu’en tant que collaboratrice, elle sentait que les clients se considéraient comme une charge en plus pour leurs avocats. Alors qu’en tant qu’indépendante, un lien plus sincère se crée. D’autant plus que Delphine est le genre de professionnelle à s’investir à fond lorsqu’une affaire la touche. « Je suis hypersensible aux injustices. Je ne sais pas si c’est une bonne chose pour mon métier, avoue-t-elle. Mais quand les gens sont blessés, je suis presque aussi blessée qu’eux. »
Lorsqu’elle défend ses clients lors des plaidoiries au tribunal, Delphine donne de sa personne. Son métier, « je l’adore », confie-t-elle avec des yeux qui pétillent. Quelle activité plus gratifiante que de trouver des solutions aux problèmes ? « On a l’impression de maîtriser beaucoup de choses, et d’avoir un pouvoir sur la vie de nos clients ».
(…) ça vaut le coup d’investir un minimum dans la structuration juridique de sa boîte.
Professionnelle du barreau oblige, elle insiste sur l’importance d’avoir un bon avocat. Car un mauvais avocat peut vous mettre à mal, vous et votre entreprise. Elle explique : « Un contrat mal ficelé peut vous desservir, et c’est un risque énorme pour l’entreprise. S’il y a deux mille euros en jeu, ce n’est pas grave. Mais s’il y a derrière une SCI, alors ça vaut le coup d’investir un minimum dans la structuration juridique de sa boîte. »
Si l’on considère qu’un avocat est rentable à partir de trois cent euros l’heure, il est facile de se diriger vers des plateformes qui proposent des contrats-types, car elles sont moins chères et plus rapides. Une erreur commise par de nombreux entrepreneurs, selon Delphine. Elle compare le conseil juridique à un vêtement. Drapée dans un ensemble noir, qui pourrait paraître austère s’il n’était pas relevé d’une jupe légèrement pailletée assortie à ses escarpins, elle semble adepte de la coquetterie sobre. « C’est comme aller chez H&M et aller chez Christian Dior. Évidemment, il y a une marque middle. Mais si vous payez un conseil cinq-cent euros, c’est que ça ne va pas. »
L’autre raison de sa nouvelle indépendance, c’est son fils de deux ans. Ses grands yeux bruns s’adoucissent à son évocation. « Avec un enfant en bas âge, il y a tout le temps des aléas. Par exemple, pendant le Covid, la crèche a fermé pendant cinq jours. Comment faire lorsque vous avez un patron ? » Heureusement, dans les moments où ça devient compliqué, elle peut compter sur le père de son fils, également avocat. « C’est notre choix de faire de la place à notre enfant, et de ne pas le confier sans arrêt à une nounou pour vivre notre carrière. » Elle s’estime chanceuse de pouvoir partager de manière égalitaire les charges familiales, et ne se sent pas sacrifiée dans sa vie professionnelle. Un équilibre qui ne fut pas toujours simple à trouver, mais Maître Krzisch est du genre pugnace. Une ténacité qui a bien fini par payer.